Lettre d'un père à sa fille de 19 ans
Chère Ariane,
Depuis 12 semaines, tu mènes un combat
contre la hausse des frais de scolarité.
Je te regarde aller depuis tout ce
temps.
Je te regarde partir dans les autobus,
à 5 heures du matin pour aller manifester.
Tu es allé prêter main forte aux
étudiant(e)s de St-Jean.
À ceux et celles de Sherbrooke, de
Valleyfield, de Laval.
Tes collègues et toi avez défié les
injonctions qui jettent l'huile sur le feu.
Vous avez marché, marché et passé
des journées à bloquer les entrées des institutions.
Vous avez fait ça dans un geste
altruiste
Toi et tes ami(e)s n'avez rien des
têtes brulées.
Je te vois partir avec tes livres de
Noam Chomsky,
De Michel Chossudovsky, Normand
Baillargeon, Françoise David, François Lisée.
Je te vois te renseigner et lire sur le
sujet
Et je sais que vous ne faites pas tout
ça juste pour le plaisir de défier
Mais parce que vous êtes conscients du
genre de société dans laquelle on vit.
Cette dépossession que les
transnationales font vivre au monde ordinaire
Par l'entremise de gouvernements
corrompus
C'est une mondialisation de la pauvreté
qu'on offre
Au nom de 'Faire sa juste part'.
Je t'ai vu revenir des assemblées
générales d'étudiants où ça chauffait.
Des assemblées où les votes étaient
serrés mais où vous avez gagné.
J'ai senti ta joie au bout de ces 12
semaines de grève de voir que vous combattez toujours.
Je t'ai entendu me raconter ces
gardiens de sécurité qui t'agressaient verbalement.
Je t'ai entendu parler des ces
soixantaines d'autos de polices stationnées dans les rues.
De ces centaines de
policiers casqués qui vous injurent parfois.
De ces policiers à
chevaux
De ces autos de police qui
vous suivent rapidement à un pied derrière.
Parce que le pouvoir dit que ce que
vous faites est illégal.
Je t'ai vu et entendu me dire que
malgré la violence verbale, vous êtes restés.
Vous êtes resté en groupe, solidaires
parce que vous croyez en votre cause.
On vous arrache vos masques qui vous
protègent du poivre.
On vous arrache vos bouteilles de
vinaigre qui vous protège des gaz
On vous injurie mais vous marchez et
vous résistez.
Le premier ministre est finalement
sorti de sa temps d'ivoire aujourd'hui,
Après 12 semaines.
Il est battu.
Il ne le dit pas et fait semblant
d'avoir le contrôle, mais il est battu.
Il répète inlassablement qu'il est
temps que vous retourniez sur les bancs de l'école.
Moi, je sais que vous n'irez pas.
Vous n'irez pas parce que, dans un
geste généreux,
Vous avez abandonné l'idée de
reprendre vos cours.
Qu'il gère ce bordel qu'il a causé
Déconnecté de la réalité qu'il est
devenu
Par son indifférence, son manque de
sensibilité, son entêtement.
Il ne vous a jamais vu venir.
Vous arrivez de partout, de tous les
coins du pays et vous marchez.
Vous participez à l'effort pour rendre
l'éducation accessible
Au plus grand nombre possible dans
l'avenir.
Je te lève mon chapeau à tes ami(e)s
et à toi-même.
Je t'appuie dans ta lutte
Même si à chaque soir j'ai peur pour
toi.
Peur que tu reviennes à la maison avec
des blessures, des traumatismes
Car ce conflit, comme tu me l'as dit
Devient de plus en plus tendu.
On sent que l'atmosphère est à couper
au couteau.
Mais vous irez, encore et encore lui
dire
'NON, à la hausse des frais de
scolarité'
Vous irez lui dire de prendre l'argent
ailleurs que dans les poches des étudiant(e)s.
Et, tu sais quoi?
Ce que tu viens de réussir avec tes
ami(e)s,
À mes yeux, c'est aussi valable sinon
plus qu'un diplôme...
Signé Un père heureux de
t'accompagner dans ton chemin de vie...